Depuis un peu plus de 10 ans, la qualité de vie au travail (QVT) s’est imposée comme un enjeu stratégique des directions des ressources humaines.
Bon nombre d’études démontrent le lien entre le bien-être au travail des salariés et la rentabilité économique de l’entreprise. Alors que près d’un quart des salariés français déclarent avoir déjà pris un arrêt maladie à cause du stress, il n’est pas étonnant que les entreprises cherchent des solutions pour atténuer les coûts directs et indirects qu’elles subissent (turn over, perte de productivité, soins de santé, prestations d’invalidité…).
La QVT a été popularisée en juin 2013, par la signature de l’Accord National Interprofessionnel sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail (ANI) qui a défini la notion de QVT comme étant « les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail, et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci ».
Centrée sur les conditions de vie professionnelle, dans un contexte de fortes mutations économiques, technologiques, organisationnelles et sociales, son présupposé est en définitive l’idée qu’une quantité substantielle de salariés souffrent au travail au point d’en devenir moins productifs et de nuire aux intérêts de l’entreprise.
Ce présupposé nous ferait presque oublier qu’a contrario, d’autres études nous présentent le travail comme une source d’épanouissement pour de nombreux français. L’une d’entre elles, publiée par l’ANACT, nous révèle ainsi que 84% des actifs auraient le sentiment d’avoir un travail qui a du sens.
Il n’en demeure pas moins que le management de la qualité de vie au travail s’est imposé dans l’inconscient collectif comme un impératif du management moderne. On nous dit même que la QVT compterait beaucoup pour les millennials. Plus que pour leurs aînés ? Pour en juger, il aurait fallu poser exactement les mêmes questions à ceux-ci il y a vingt ans…
Attention cependant aux dérives. Sur un célèbre réseau social professionnel, je lisais récemment le témoignage d’un DRH : « j’ai fait venir des talents dans mon entreprise grâce à la QVT ! » disait-il. Ce DRH était visiblement moins préoccupé par l’amélioration du bien-être de ses collaborateurs que par l’envie de magnifier l’image de son entreprise auprès de futurs candidats au recrutement. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre certes, mais on peut craindre qu’à l’époque de la communication numérique, la QVT finisse par se compromettre dans le superficiel.
A moins que la QVT ait bel et bien déjà dérivé ! Alors qu’une démarche QVT devrait logiquement s’adresser à tous les collaborateurs de l’entreprise, certaines structures n’hésitent pas à la réserver à certains privilégiés. C’est ainsi qu’une entreprise se réclamant du progressisme se targuait d’avoir mis l’autonomie (en tant que condition de travail d’un collaborateur) au cœur de sa politique QVT. Si l’intention paraît louable au premier abord, c’est sans considérer qu’elle excluait une grande partie des non cadres de l’entreprise dont l’emploi était par nature dépourvu d’autonomie. On retrouve comme cela un certain nombre d’oubliés de la QVT, parmi lesquels les salariés dont le travail n’a pas assez de sens (14% d’entre eux estiment avoir un travail pénible ou répétitif selon l’ANACT).
La QVT subirait donc au quotidien le risque d’être utilisée à mauvais escient ou déviée de sa trajectoire, au point où un nouvel Accord National Interprofessionnel de 2020 a jugé utile d’en repréciser les contours en créant la notion de QVCT (qualité de vie et des conditions de travail), au grand dam des « aficionados » de la QVT. La QVCT rajoute un C, revendique sa différence, mais continue de limiter l’employeur dans sa recherche de solutions personnalisées pour les collaborateurs. L’employeur n’est pas suffisamment incité à mener des actions pour améliorer les conditions de vie personnelles de ses collaborateurs autrement qu’en s’assurant d’équilibrer les temps de vie privée et ceux de vie professionnelle.
La notion de QVT est-elle démagogique ? En tout cas, elle est à mon sens imparfaite car améliorer significativement le bien-être des salariés sans les soutenir face à leurs difficultés personnelles est aussi facile pour un employeur que de remplir le tonneau des danaïdes.
J’entends déjà les objections de principe : « l’employeur n’a pas à s’occuper de la vie privée de ses salariés ! ». Certes, mais j’ai la conviction qu’un salarié en situation de surendettement, dont le salaire ne suffit manifestement plus pour équilibrer sa situation financière, saura accepter l’aide de son employeur s’il le lui propose. Idem pour un salarié subissant une vie familiale complexe (ex : un divorce difficile). De nombreux exemples permettent d’établir qu’un salarié garde tout le poids de ses problèmes personnels lorsqu’il travaille, ce qui est d’autant plus vrai depuis le développement du télétravail.
De toute évidence, la QVT (ou désormais QVCT) devra à l’avenir barrer son T si elle veut continuer à exister !
Par Julien BROTHIER, DRH
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